Des papiers flottent dans les airs, accrochés à un fil tendu entre un arbre et un pylône. Des feutres sont mis à disposition des habitants invités à s’exprimer et les passants se pressent en nombre pour lire les messages. Ce cahier de doléances à ciel ouvert a été installé dans le Schanzenviertel, quartier bien connu de Hambourg, où se sont déroulés, en marge du sommet du G20 (7-8 juillet 2017), les affrontements les plus sévères entre membres du « Black Bloc » et forces de l’ordre.

La cible principale des messages ? Les autorités locales, au premier rang desquelles le maire et dirigeant du Land de Hambourg, Olaf Scholz, accusé par les habitants d’une préparation défaillante, d’une mauvaise anticipation et d’un manque criant de réaction — sa participation en compagnie des chefs d’état du G20, au sein de l’Elbphilarmonie (voir notre article), à une représentation de la Symphonie nº 9 de Beethoven alors même que se déroulaient les événements dans le quartier, est un reproche récurrent.

Il y a aussi ce message, signé par « un ancien électeur du SPD » : « Citoyens de Hambourg ! Olaf Scholz doit partir ! En septembre, pas de voix pour le SPD. » Un appel clair lancé à la population à se saisir des élections législatives fédérales du 24 septembre 2017 (Bundestagswahl) pour manifester son mécontentement et sanctionner dans les urnes le premier bourgmestre.

Car si Olaf Scholz n’est pas candidat en son nom lors de ces élections nationales, il est en revanche une figure importante du Parti social-démocrate (SPD) et s’est fortement impliqué dans la campagne, participant à de nombreuses réunions publiques et posant sur autant d’images ou affiches de soutien (voir ci-dessous). C’est cette stratégie réfléchie par temps calme, faisant volontiers appel à un personnage jusqu’alors peu contesté, qui se voit mise à mal suite aux événements du G20 et aux nombreuses voix qui se sont élevées pour réclamer la démission du premier magistrat de la ville — une option que l’intéressé a rapidement écarté.

Affiches de réunions publiques (extraits) représentant Olaf Scholz “en dialogue” avec quatre candidats SPD à Hambourg : Johannes Kahrs, Dorothée Martin, Aydan Özoğuz et Matthias Bartke.

S’il est difficile d’estimer pour l’heure les conséquences électorales d’un tel scénario, le parti aimerait quant à lui renouveler ses résultats des élections législatives fédérales de 2013 qui l’avaient placé en tête à Hambourg avec 32,4% des voix (devant l’Union chrétienne-démocrate, CDU, 32,1%) et lui avait permis de remporter 5 des 6 circonscriptions en jeu localement — un résultat d’autant plus satisfaisant que le SPD, au niveau national, enregistrait cette année-là son deuxième pire score depuis 1949. Cet objectif, le parti social-démocrate espère l’atteindre en reconduisant sa tête de liste, Aydan Özoğuz, députée sortante, ainsi que de nombreux autres candidats dits « de liste » ou « de circonscription » (lire l’encadré ci-dessous).

Le système électoral allemand: Qualifié de « système mixte à finalité proportionnelle », le système électoral allemand combine scrutin majoritaire uninominal et scrutin proportionnel plurinominal. Concrètement, pour les élections législatives fédérales, chaque électeur possède deux voix : une « première voix » à attribuer dans sa circonscription à une personnalité unique et une « deuxième voix » à attribuer dans son Land à la liste d’un parti politique. Si les élus « première voix » sont crédités au contingent de chaque parti, ce sont toutefois les « deuxièmes voix » qui définissent la répartition proportionnelle des sièges entre les différents partis au Parlement (Bundestag). Ainsi chaque parti politique doit désigner, dans chaque Land, à la fois des candidats pour les circonscriptions (Hambourg est divisé en 6 circonscriptions) et des candidats pour sa liste régionale (Landesliste).

S’il n’est pas le seul parti à avoir réinvesti pour septembre 2017 sa tête de liste 2013 — le CDU, avec Marcus Weinberg, et les Verts, avec Anja Hajduk, ont fait de même — c’est néanmoins le SPD qui, de tous les partis présents à Hambourg, a reconduit le plus de candidats : 50% de ses candidats investis en 2017 l’étaient déjà en 2013. Une composition qui traduit une volonté manifeste d’une prise de risque minimale, laquelle, on l’a évoqué, peut rapidement se voir remise en cause par des événements imprévus.

Les « nouveaux entrants »

Derrière le SPD, on observe un gradient selon les résultats obtenus à Hambourg par les partis aux élections fédérales de 2013 : ainsi la CDU (qui avait totalisé 32,1% des voix), les Verts (12,7%) et Die Linke (8,8%) ont-ils respectivement maintenu 4, 2 et 1 candidat de 2013 pour les élections de 2017.

Du côté des partis arrivés à Hambourg sous la barre des 5% — seuil qui doit être dépassé, au niveau national, pour autoriser un parti à être représenté au Parlement — aucun des candidats de 2013 n’a été reconduit pour la campagne de 2017. C’est le cas du parti libéral-démocrate FDP, partenaire fréquent de coalition auprès du SPD ou de la CDU mais pour qui les élections de 2013 avaient constitué un véritable « fiasco » (tant au niveau local que national), comme du parti d’extrême droite AfD, qui connaissent donc tous les deux un profond remaniement. Dans la même situation, le Parti Pirate a lui aussi opté pour un tel remaniement mais ne sera finalement pas en mesure de participer aux élections à Hambourg, comme nous l’a indiqué son Vice-Président régional Thomas Michel, faute d’avoir réuni les 2000 signatures nécessaires — il est néanmoins conservé dans l’analyse, à titre comparatif.

Les 61 candidats nouvellement investis en 2017 (sur 74 candidats au total, tous partis confondus) ne méritent toutefois pas d’être qualifiés trop rapidement de « nouveaux entrants ». Un détour par les élections législatives locales est à ce titre éclairant : en effet, on observe alors que plus de 65% des nouveaux candidats investis par les partis aux élections législatives fédérales de 2017 ont déjà été investis par leur parti aux élections législatives régionales de Hambourg en 2015 (Bürgerschaftswahl). Le graphique ci-dessous illustre cette situation où les élections locales, très importantes eu égard aux compétences attribuées aux Länder dans le système allemand, semblent jouer à la fois un rôle de filtre et de tremplin pour les élections nationales. À noter ici la particularité du FDP qui a reconduit à l’identique son duo de tête des élections locales de 2015 aux élections fédérales de 2017 (1. Katja Suding, 2. Wieland Schinnenburg) :

Par ailleurs, être nouvellement investi en 2017, sans avoir été présent ni en 2013 ni en 2015, n’exclut pas une longue expérience ou carrière politique au niveau local. C’est par exemple le cas de Robert Jarowoy, candidat Die Linke, ou de Peter Lorkowski, candidat AfD (voir plus bas).

Place aux jeunes ?

La nouveauté dans les investitures, ou au contraire l’absence de nouveauté, peut également s’observer à travers la place accordée aux plus jeunes. C’est ainsi que l’on retrouve, dans les listes qui seront soumises aux électeurs, la quasi-totalité des organisations de jeunesse respectives des partis allemands, à savoir : les jeunes socialistes « Jusos » (SPD) en la personne d’Annika Urbanski, la « Junge Union » (CDU) avec Antonia Niecke, les jeunes écologistes « Grüne Jugend » (Verts) avec Johannes Müller, la « Junge Alternative » (AfD) avec Krzysztof Walczak, « Linksjugend Solid » (Die Linke) avec Sarah Rambatz ou encore les jeunes libéraux « JuLis » (FDP) avec Carl Coste. Cependant, aucun de ces candidats n’est situé en position éligible avec, au mieux, une 4e place sur la liste des Verts et, au pire, une 11e place sur la liste du SPD.

Quelques statistiques simples sur l’âge des candidats sont aussi instructives. De manière contre-intuitive, ceci en raison de leur positionnement politique d’une part et de leurs sujets d’intérêt respectifs d’autre part, la moyenne d’âge des candidats investis la moins élevée se rencontre à l’AfD (40 ans) et la plus élevée dans les rangs du Parti Pirate (53 ans) — voir le graphique ci-dessous. Plus que la moyenne, la mesure de l’âge médian permet de mieux apprécier la répartition des candidats selon leur vieillesse : pour cinq des sept partis étudiés (SPD, CDU, Verts, AfD et Parti Pirate), la médiane met en évidence un poids plus important des candidats les plus âgés. En revanche, pour les partis Die Linke et FDP, on observe une composition des listes qui se fait plus à l’avantage des plus jeunes. Au sein de ces deux partis, l’âge médian des candidats est respectivement de 37 et 34 ans. Ce sont également dans ces deux partis, Die Linke et FDP, que l’on rencontre les plus jeunes têtes de liste : le député européen Fabio de Masi (37 ans) d’un côté et Katja Suding (41) de l’autre. Enfin on peut également noter que, sur dix candidats investis par le FDP, cinq ont moins de 40 ans.

À propos des deux partis politiques les plus importants, le SPD et la CDU, ceux-ci ont une moyenne d’âge identique (47 ans), la plus élevée en-dehors du Parti Pirate, et une répartition du nombre de candidats qui se fait, comme on l’a déjà souligné, au profit des plus âgés (le SPD compte ainsi six candidats, sur 12, de plus de 50 ans).

Parité et répartition hommes-femmes

En termes d’égalité hommes-femmes, seuls deux partis, le SPD et les Verts, respectent strictement le principe de parité en présentant 50% d’hommes et 50% de femmes, en alternance (une femme – un homme – une femme, etc.). Chez ces deux partis, la tête de liste est également une femme (Aydan Özoğuz et Anja Hajduk). Avec quatre femmes pour sept hommes, la CDU n’est pas le parti le plus mal placé mais il est à noter que la première femme (Herlind Gundelach, députée sortante) y arrive seulement en cinquième position.

Chez les « mauvais élèves », on trouve le FDP, avec trois femmes investies (dont toutefois la tête de liste) pour 10 hommes, et le Parti Pirate, qui ne devait présenter qu’une seule femme (en 11e position sur la liste) pour 14 hommes — témoignant, de la sorte, au-delà de celle classique dans le monde politique, de la « domination masculine » qui caractérise aussi, à Hambourg comme partout ailleurs en Allemagne, le domaine des technologies de l’information, comme le rappelait récemment la sociologue Grit Grigoleit-Richter dans la revue Journal of Ethnic and Migration Studies (voir notre fil twitter à ce sujet).

À toutes fins utiles, il peut aussi être rappelé qu’aucun des sept partis politiques étudiés ici n’a investi plus de femmes que d’hommes.

Les candidats « mixtes »

Comme on l’a déjà souligné (voir l’encadré), le système électoral allemand combine scrutin majoritaire et scrutin proportionnel, obligeant les partis politiques à désigner à la fois un candidat pour chacune des circonscriptions locales (qui sont au nombre de 6 à Hambourg) et à établir une liste au niveau régional. Si cela aboutit à donner à chaque électeur deux voix distinctes (grosso modo une voix pour chaque type de scrutin), cette distinction n’est pas forcément de mise pour les personnalités investies : en effet, il n’est pas rare que des candidats aient un « double ticket », c’est-à-dire qu’ils soient en même temps candidats à un mandat « direct » et candidats à un mandat « de liste ».

Si les candidats à « double ticket » représentent déjà 52% de l’ensemble des candidats investis, leur poids est d’autant plus important si l’on s’intéresse aux positions les plus élevées et donc potentiellement les plus éligibles : 82% de ces candidats se situent ainsi entre la 1ère et la 6ème place de leur liste respective. Au sein de la CDU et du FDP, ce sont mêmes les 6 candidats de circonscription qui récupèrent l’intégralité des 6 premières places — le SPD n’y arrivant pas par respect du principe de parité, l’obligeant à décaler un candidat en 7ème position. Dans le même registre, on peut noter que pas moins de 5 partis (SPD, CDU, Verts, FDP et AfD) puisent leur tête de liste parmi leurs candidats de circonscription.

Dans une étude publiée en juin dans la revue German Politics, la politiste Sara Yasemin Ceyhan, de l’Université Goethe de Francfort, mettait déjà en évidence, à l’aide des données des élections de 2013 au niveau national, ce lien positif entre investiture en circonscription et accès aux positions les plus élevées sur les listes électorales, occasionnant par là même, selon l’auteur, une certaine clôture du jeu démocratique. La logique en est évidente — la maximisation du nombre de voix recueillies — et suppose, pour pouvoir être mise en œuvre, un fonctionnement à l’intérieur du parti suffisamment contrôlé en amont pour que les séances officielles de délibérations sur la composition des listes ne donnent pas lieu à des foires d’empoigne mais soient de simples validations formelles de décisions déjà prises (ce que les résultats, au-delà des 80-90% généralement obtenus, laissent à penser).

Dès lors, ce sont les situations qui s’écartent de cette logique qui sont intéressantes à observer. En ce domaine, la liste régionale que souhaitait présenter le Parti Pirate était un cas d’école : si les candidats de circonscription y étaient bien tous présents, en revanche, aucun de ces candidats n’était en position éligible, le premier arrivant seulement en troisième position et la majorité d’entre eux situés entre la 9ème et 13ème place. Des personnalités peu connues, un jeu démocratique interne ouvert et des faibles perspectives de gains électoraux ont certainement conduit à cette composition surprenante.

Du côté de partis plus établis, l’on relève aussi certains écarts : ainsi chez les Verts, la candidate de la circonscription Eimsbüttel (nord-ouest de Hambourg), Anna Gallina, déjà candidate en 2013, s’est vue refuser l’accès à la liste régionale. Candidate à la troisième place, celle-ci lui a échappé au profit d’une autre candidate, Jennifer Jasberg, nouvelle candidate aux élections nationales. Si le référent local du parti relativise une telle situation, elle ne concerne pourtant, selon nos observations, que trois autres candidats parmi l’ensemble des partis.

Ainsi à l’AfD, Peter Lorkowski, candidat de la circonscription Harburg (sud-ouest de la ville), est absent de la liste régionale de son parti. Si l’AfD indique qu’il n’était tout simplement pas candidat à la liste régionale, le candidat lui-même est un peu plus loquace : seule la cinquième place de la liste lui était proposé. Or, compte tenu des élections précédentes et des résultats estimés, cette place n’est pas synonyme d’élection au Bundestag. Dès lors, P. Lorkowski a préféré se concentrer sur sa circonscription locale, souhaitant faire bénéficier son parti de son « ancrage » local, en tant que chef d’entreprise.

On retrouve une attitude similaire dans les rangs du parti Die Linke, en la personne de Robert Jarowoy. Candidat dans la circonscription d’Altona, R. Jarowoy ne s’est vu proposer que la quatrième place sur la liste régionale. Une place qui l’aurait conduit à devoir mener campagne à une échelle où il est  « complètement inconnu », et sans perspective de victoire à la clé. A l’image de Peter Lorkowski de l’AfD, il a donc choisi de se concentrer sur sa circonscription, où il jouit d’une petite notoriété en tant qu’écrivain, pour amener le maximum d’électeurs à voter pour son parti.

Malgré tout ce qui les différencie sur le plan politique, ces deux figures de quartier font ainsi un même pari incertain. La perspective de victoire électorale n’étant pas suffisamment assurée pour les inciter à adopter une logique de parti, ces deux candidats ont en effet adopté une démarche qui consiste, tout en personnalisant très fortement leur campagne, à vouloir amener les électeurs à voter pour une liste sur laquelle ils ne figurent pas.

Enfin, un autre candidat Die Linke de circonscription ne figure pas sur la liste régionale de son parti. Il s’agit de Martin Dolzer, membre du parlement de Hambourg et candidat pour la circonscription Hamburg-Mitte (centre-ville). Pourtant désireux d’être sur la liste régionale, il n’y a pas été investi par son parti, faute selon lui à une « inversion de calendrier ». Le parti Die Linke est en effet le seul, compte tenu de problématiques juridiques, à avoir arrêté sa liste régionale avant ses candidatures locales. Une situation qui, dès lors, ouvrait davantage le jeu et laissait place à l’expression de possibles dissensions internes — l’éventualité qu’il ait dès lors été sanctionné par une partie de ses pairs pour des propos polémiques sur la police, même s’il évacue cette hypothèse auprès de nous, n’est pas à exclure.

Au-delà des petites histoires individuelles, le fait que ces cas atypiques se rencontrent dans les rangs du Parti Pirate, des Verts, de l’AfD et de Die Linke n’est pas anecdotique : il éclaire en effet sous un autre angle les défis auxquels sont confrontés ces partis qui, derrière le CDU et le SPD, cherchent à se renouveler. Une exception : le FDP qui, tout en renouvelant profondément ses visages après une élection 2013 calamiteuse, semble s’être doté d’une organisation resserrée calquée sur les grands partis, toute orientée vers la victoire et son retour au parlement. Les électeurs adhéreront-ils à ce mélange de neuf et d’ancien ? Réponse le 24 septembre.


Cet article a été rédigé en juillet et août 2017. Les personnes citées ont été interrogées par email en juillet 2017. Les statistiques réalisées portent sur les partis politiques suivants : le SPD, la CDU, les Verts (Grünen), l’AfD, le FDP, Die Linke et le Parti Pirate. La liste officielle et exhaustive est consultable ici. Pour réagir à cet article, merci d’utiliser le formulaire de contact.